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Lorsque le goût de vivre devient trop amer

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Le suicide des jeunes, un phénomène qui fait froid dans le dos. Surtout, si l'on garde à l'esprit, que cette forme de mort représente la cause principale des décès des 15-24 ans. Eclairage en compagnie de Nathalie Schmid Nichols, psychologue responsable du Centre d'Etude et de Prévention du Suicide (CEPS) aux HUG de Genève.

Les appels au secours sont-ils en augmentation ces dernières années?
Oui. Globalement, nous avons constaté une faible élévation du nombre d'appels de jeunes en détresse ayant recours à la HelpAdoLine, qui est au service des jeunes en détresse et de leurs proches (voir : encadré). Probablement est-ce lié au fait que les appelants savent mieux où s'orienter en cas de difficultés. Des organismes, comme Stop Suicide, contribuent à la diffusion de l'information sur les dispositifs d'aide au service des jeunes qui veulent en finir avec la vie. Stop Suicide organise, par exemple, des campagnes de prévention et assure un important travail de mise en réseau des structures existantes en Romandie.

Comment expliquez-vous cet accroissement?
Nous vivons dans une société où les individus sont de plus en plus connectés mais aussi de plus en plus isolés dans le sens où chaque personne se retrouve seule face à son ordinateur ou smartphone.

Pour quelles raisons un enfant «décide-t-il» de s'ôter délibérément la vie?
Un enfant ne décide pas de s'enlever la vie. C'est le plus souvent un «non choix», une réaction qui répond à un sentiment d'impasse, d'insupportable qu'il veut voir s'arrêter.

Les facteurs qui mènent à l'acte suicidaire varient d'une personne à l'autre et sont multiples. A noter que les enfants fonctionnent différemment que les adolescents. Chez eux, le mouvement suicidaire relève plus souvent de la psychopathologie que chez les plus âgés. Il s'agit, également, chez l'enfant d'avoir une lecture très attentive sur ce qui se passe dans son entourage immédiat (identification au parent suicidaire). Avant 12 ans, la volonté de se donner la mort ne revêt pas les mêmes enjeux que passé le seuil de la puberté. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas prendre au sérieux les enfants qui parlent d'en finir avec la vie. Il s'agit, de toute façon, d'un cri d'alarme car l'enfant et parfois même l'adolescent n'a pas encore conscience du caractère inéluctable de la mort.

Et chez les adolescents?
Il s'agit souvent d'une réaction à une perte de maîtrise notamment liée au processus pubertaire. La silhouette change, prend des formes que l'adolescent peut vivre comme gênantes. Sous l'impulsion des hormones, son corps devient sexué. En outre, à cette période, des questions - tant sur son avenir que plus existentielles comme celle du sens à donner à la vie - voient le jour. Cela peut passablement déstabiliser l'adolescent. Enfin, à ce moment de l'existence, on ne connaît par encore nos limites et on a tendance à les tester. En ce sens, des conduites à risque peuvent apparaître : usage de drogues, conduite en état d'ivresse, sexualité non protégée...

Existe-il des facteurs déclencheurs?
Oui et ils sont multiples. Le désarroi amoureux en est un. La fin d'un premier amour peut provoquer une grande souffrance chez l'adolescent qui a tendance à exalter le sentiment amoureux. La rupture peut entraîner chez lui un profond désespoir. Il aura l'impression que son existence s'arrête. A cela s'ajoute la question de son orientation sexuelle. Une récente étude a, d'ailleurs, montré que les jeunes homosexuels ont plus tendance à mettre fin à leurs jours que les hétérosexuels. D'autres raisons sont aussi à rechercher au niveau de l'échec scolaire et d'une mauvaise intégration dans le groupe.

Les conflits familiaux parfois liés à la demande de liberté croissante de l'adolescent constituent aussi une raison évoquée par les jeunes comme ayant précipité le mouvement suicidaire. A ce propos, soulignons que l'adolescence met bien souvent la famille en crise. L'enfant devient adulte. Les parents prennent alors conscience que leur progéniture va quitter le nid. C'est, également, à cette période que l'on développe son esprit critique et d'opposition. A cette phase de la vie, l'on commence aussi à «désidéaliser» ses parents. Ils sont alors perçus comme des êtres humains, avec leurs forces et leurs faiblesses et non plus comme des héros, ce qui était le cas durant l'enfance.

Y a-t-il des périodes de vie plus propices au mouvement suicidaire?
Oui, les moments liés au changement sont synonymes de doutes et d'inquiétude. L'adolescence constitue une période à risque mais, à nouveau, cela ne veut pas dire que le changement est une cause en soi du mouvement suicidaire. De multiples facteurs se conjuguent.

Quels sont les signes avant coureurs?
Notamment une tristesse, parfois accompagnée d'un retrait social, d'un brusque changement de comportement. A cela peuvent s'ajouter des scarifications, des conduites à risque telles que celles citées plus haut, des jeux addictifs, un usage exagéré de toxiques. Mais, chaque situation est singulière et les signes, parfois discrets, peuvent être différents.

Et si mon adolescent parle de se suicider, comment réagir?
Ne jamais considérer ses propos comme du chantage ou des paroles en l'air. Toujours les prendre au sérieux. L'adolescent demeure un être impulsif. Il convient de l'écouter attentivement sans le juger et l'orienter vers des professionnels qui puissent l'aider à comprendre ce qui se cache derrière ce cri d'alarme. Il faut accompagner le jeune, ne pas le laisser seul face à son désespoir. Lorsque l'on est professionnel, il s'agit alors de nouer une relation de confiance avec lui. Et lorsque l'on est un jeune qui reçoit de telles confidences d'un ami, il faut se tourner vers un adulte qui prennent en charge la situation. Enfin, il ne faut pas hésiter à aller voir un spécialiste et même se rendre aux urgences dans les cas où le risque suicidaire devient trop important.

Comment peut-on faire de la prévention auprès des jeunes sans susciter leur curiosité?
Il s'agit d'en parler, avec sérieux, tout en évitant d'héroïser le sujet. Cela serait contreproductif car différentes études ont montré un effet de contagion. C'est ce qu'on appelle l'effet Werther, du nom du roman, «Les Souffrances du jeune Werther», de Goethe. A la sortie du livre de l'écrivain allemand, on a constaté une vague importante de suicides. Les lecteurs s'étaient, en effet, identifiés au héros du roman qui, à la fin de l'histoire, se donne la mort. Il n'y a pas de tabou à en parler.


Une aide bienvenue

Existant grâce au partenariat entre les Hôpitaux Universitaires de Genève et la fondation Children Action, le Centre d'Etude et de Prévention du Suicide (CEPS) des HUG de Genève a pour missions de soutenir les adolescents en détresse tout en menant une prévention active sur le terrain.

A cet effet, une ligne téléphonique, la HelpAdoLine, au 022 382 42 42, est disponible 24 heures sur 24 (7 jours sur 7) pour les adolescents et leurs proches (amis, familles et professionnels qui les entourent).

Des professionnels (psychologues et infirmiers) répondent aux appels afin d'accueillir les jeunes ou de les orienter vers des structures de proximité lorsque les appels émanent de régions externes au canton de Genève.

Des réponses par mail sont aussi assurées pour des personnes qui cherchent à se documenter sur le suicide des jeunes et les mesures de prévention. Le centre propose, également, des formations continues sur le sujet, des interventions auprès de groupes de jeunes, de parents ou de professionnels et développe un réseau santé-social au service de l'adolescent à risque suicidaire.

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